Chapitre I
Trois ans plus tard, le lundi 17 octobre 1977 à 4 heures 15 ce matin là, le gardien chef Henri (que j’avais baptisé « Riton »), vint lui-même me tirer de mon cauchemar journalier.
- Debout mon vieux, c’est le grand jour, déclara-t-il en guise de bonjour.
- Tes fans t’attendent, ce n’est pas le moment de les faire poireauter le jour de ton triomphe !
Il m’a fallu quelques secondes pour imprimer ces paroles dans mon esprit et subitement, la lucidité refit surface en moi et je compris alors que j’allais vivre la plus brève journée de mon existence.
- Fais-toi beau, que ton public soit fier de toi ! Tu as quarante cinq minutes pour te laver, t’habiller et te pomponner et à 5 heures tu es attendu au mess (le mess était une métaphore pour parler d’une sorte de cafétéria ou les détenus prenaient leur dernier repas).
-Si tu as une envie quelconque, n’hésites surtout pas c’est le contribuable qui te l’offre, mais préviens-moi tout de suite que je puisse avertir le traiteur !
Cette salope se payait ma tronche en plus, on ne pouvait donc pas me laisser crever tranquille, on m’avait déjà empêché de vivre comme tout le monde, enfin ce n’était qu’un mauvais moment à passer. J’étais complètement réveillé à présent, ce jour tant redouté et pourtant inévitable était finalement arrivé et je m’y attendais depuis 3 ans déjà, depuis le 04 décembre 1974, le jour ou la cour d’assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence m’avait condamné à mort. Mon pourvoi en cassation avait été refusé au mois de janvier de l’année suivante et depuis cette date, je savais que l’issue serait inéluctable.
Mon avocat (un ténor du barreau de l’époque, Robert Dupontel), avait pourtant fait le maximum pour moi, mais le procureur général avait été intraitable et m’avait traité de créature démoniaque, les experts psychiatres considérant que j’avais « une intelligence supérieure à la normale et constituait un terrible danger pour la société, mon « baveux » n’avait hélas rien pu faire.
Un mois plus tôt, très exactement le 10 septembre 1977 à 4 heures 40 du matin, j’avais été précédé à cette même place par un autre détenu nommé Hamida Djandoubi, défendu lui aussi par le même avocat (Maître Dupontel), Djandoubi était infirme et portait une prothèse en guise de jambe, mais même cette jambe de bois ne fit pas plier ses juges et il termina « raccourci » de la tête cette fois-ci. Depuis, ils avaient « humanisé » la procédure et les détenus n’étaient plus prévenus la veille de leur exécution, mais le jour même, ce qui permettaient a ces condamnés de « passer une dernière nuit » à peu près normal.
A aucun moment, je n’ai cherché à minimiser mon geste, ce qui aurait dû m’attirer les bonnes grâces des jurés, mais ce qui a déplu aux enquêteurs et ensuite au tribunal, c’est que je n’ai jamais voulu « donner» le nom de mon complice du moment. Il faut dire que l’on avait fait fort à l’époque, 6 morts, 1 mortellement blessé en Allemagne et un disparu, probablement mort à Marseille Ils auraient dû être contents, c’étaient tous des voyous notoires, mais non, on n’a pas le droit de faire justice soi-même. Et il faut dire, que c’était encore l’époque ou la police, la magistrature et la voyoucratie copinaient allégrement.
Djandoubi faisait lui, pourtant parti du grand banditisme marseillais mais son appartenance au milieu méditerranéen ne l’a pas sauvé pour autant, dans la mesure où il avait été « lâché » par ces ex-coreligionnaires et c’était les mêmes flics et magistrats qui l’avaient condamné, qui se sont occupés de mon procès, et tout était joué d’avance pour moi, la mafia locale n’acceptait pas qu’on s’occupe de trop près à leurs affaires.
Mon procès avait duré quelques jours, normalement une affaire comme celle-ci aurait dû durer une bonne quinzaine de jours, voir 3 semaines, mais là, tout fut bouclé en quatre jours seulement. Condamné par des gens encore plus criminels que moi, il y avait de quoi se torde de rire si cela n’avait pas été aussi tragique, de quoi se révolter contre la société, mais à mon niveau, cela n’avait plus une grande importance et il n’y avait plus rien à faire que de se résigner.
Mon baveux, ne m’avait pas caché que cela allait être très dur pour moi, je ne pouvais compter que sur la clémence des jurés d’assises, mais ils avaient bien été briffés par le « proc » et la presse de l’époque me confondait plus à un serial killeur dans un remake de Massacre à la tronçonneuse (film de Tobe Hooper sorti un mois ou deux avant aux USA) que dans la peau de « Lucky Luciano » (film de Francesco Rosi sorti à peine un an plus tôt en début d’année). J’étais l’ennemi public N°1, l’homme à abattre, bref, je ne devais pas sortir vivant de ce procès et en à peine quatre jours, la messe a été dite.
J’avais 32 ans au moment des faits et j’étais en permission spéciale (je venais de terminer mon premier engagement de 3 ans dans l’armée et je venais de m’en « rependre » pour 5 ans et je m’apprêtais à partir au Tchad, 1974, à la suite des événements de cette année-là, l’enlèvement de l’archéologue française Françoise Claustre par les combattants d’Hissène Habré, alors chef d’une fraction du Frolinat.
I l y avait maintenant plus d’un an que je n’avais vu Marianne, ma « quarteronne » de femme, (ou plutôt de petite amie, nous voulions nous marier, mais ses parents avaient d’autres vues pour leur fille), ma métisse (une demi métisse devrais-je dire), était restée à Fort de France en Martinique chez ses parents pendant mon engagement militaire et résidait voie 12 route de la Redoute. Le quartier de la Redoute était un quartier paisible dominant la ville de Fort-de-France ou seuls quelques véhicules militaires venaient troubler sa tranquillité. J’avais rencontré ma copine à l’école primaire, étant moi-même Foyalais (habitants de Fort de France), d’adoption, mes parents « zoreilles, ou z’oreilles » (français d’origine de France métropolitaine venus s’installer aux Antilles et plus particulièrement en Martinique.
Mon père était décédé depuis de nombreuses années et ma mère, infirmière en avait bavé pour m’élever seul et il faut bien l’avouer, nous ne roulions pas sur l’or, ce qui motivait certainement les parents de Marianne, plutôt matérialistes, à trouver un meilleur parti pour elle. Un soir ou j’avais laissé entendre à son père que j’avais l’intention d’épouser Marianne, il m’avait répondu, « son panier est haut placé », dicton populaire local qui signifie en gros qu’elle était trop bien pour moi et qu’il valait mieux que j’oublie ou que je m’amende sérieusement. Une bien jolie tournure pour une fin de non-recevoir. Mais, il existe aussi un autre diton populaire qui disait, « il n’y a pas de citadelle imprenable il n’y a que des citadelles mal assiégées », et j’étais donc bien décidé à me montrer patient et obstiné.
Quand je dis ses parents, c’était en réalité son oncle et sa tante qui l’avait recueillie à la mort de ses vrais parents dans un terrible accident de la route. Orpheline et fille unique à 3 ans, elle fut la seule rescapée du malheur qui avait frappé sa famille, son oncle Raoul (le frère de son père) et sa tante se proposèrent instantanément d’élever la petite Marianne comme leur propre fille. Fille qu’ils n’avaient pas d’ailleurs, suite à la stérilité de Raoul.
Mon « ex-futur beau-père » tenait une petite entreprise de travaux publics et travaillait en sous-traitance pour France Télécom et pour EDF. Quand je dis petite entreprise, je suis un peu modeste, c’était plutôt une entreprise moyenne qui comptait déjà presque une centaine de personnes, 5 camions, 3 tractopelles (type Bakou), un porte-poteau, 2 tarières et une dizaine d’autres véhicules de chantier dont j’en ignore encore l’usage.
L’entreprise se portait bien et avait une croissance à deux chiffres depuis quelques années. La Martinique était en pleine mutation, en pleine extension de modernité. Des lotissements sortaient de terre plus vite qu’il ne fallait pour en dessiner les plans. Les réseaux téléphoniques aériens ou souterrains se multipliaient comme les petits pains de la bible. Le parc à voitures de l’île avait à lui tout seul, doublé l’activité portuaire, le regain d’activité de ce dernier, outre les véhicules qui arrivaient de métropole, était aussi due à l’accroissement du nombre d’entreprises, de supermarchés, de résidences secondaires.
Apparemment, l’île vivait son heure de gloire. Le chômage (officiellement près de 18 %) était le plus élevé de France, ce qui n’empêchait pas que tout le monde avait un ou plusieurs emplois.
Raoul qui avait commencé quinze ans plus tôt à travailler comme chauffeur de camion avait réussi à se mettre à son compte en louant ses services aux très nombreuses boites métropolitaines installées sur l’île depuis quelques décennies. Petit à petit, il avait acheté plusieurs camions et un jour, il fit le grand saut et se mit à réaliser (sur les conseils avisés de l’entreprise « La Signalisation ») de l’assainissement de lotissements, et de l’assainissement il était passé à toutes sortes de travaux de génie civil.
A cette époque, son entreprise embauchait à tour de bras et Marianne s’était mise en tête de m’y faire engager. Mais, « son père » qui était un homme avisé et prudent me connaissant un peu de réputation, et l’on ne pouvait pas le blâmer car je n’avais pas à cette époque une conduite à toute épreuve, non que j’étais un voyou, mais disons que j’étais quelques peu dissipé.
Je fréquentais très souvent (trop souvent d’après le père de Marianne) un bar du centre ville à la croisée des rues Lazare Carnot et de la redoute de Marouba tout près de la Savane (la place du centre ville). Le quartier était coincé entre la place centrale de la Savane, le tri postal, la préfecture et la bibliothèque de Schœlcher. Il y avait à ce carrefour trois bars que les clients fréquentaient en alternance et l’on « tournait » d’un bar à l’autre. L’endroit était surnommé le triangle des Bermudes et était le soir, un des endroits les plus animés de la ville avec les abords de la Savane mais pas pour les mêmes raisons, son surnom (le triangle des Bermudes) était d’ailleurs assez bien trouvé car il est vrai que tout pouvait arriver la nuit dans ce quartier.
Un des bars, le piano bar, était tenu par Serge, un ami, entrepreneur le jour et barman le soir. Il y avait longtemps qu’il n’y avait plus personne pour jouer du piano, mais ce dernier était toujours là et sa présence justifiait à lui seul le nom de l’établissement. Serge était un garçon des plus sérieux et des plus courageux que je connaissais, malgré la fatigue de la journée, il manquait rarement l’ouverture de son bar tous les soirs à 19 heures, lorsqu’il ne pouvait pas, suite à un contre temps professionnel, l’ouverture était assurée soit par sa femme Muriel, soit par son beau-frère Pierre et Serge arrivait quelques minutes ou quelques heures plus tard, mais était toujours là pour la fermeture.
Il faut dire que l’ambiance était parfois chaude, très chaude même, mais jamais de bagarre, Serge assurait le service d’ordre à lui seul et les clients le respectaient ou tout au moins respectaient son passé quelque peu sulfureux (il y avait plus de la légende que de la réalité, mais son séjour en prison y était pour beaucoup). Je me souviens qu’un soir ou je ne suis pas allé chercher Marianne au boulot (elle travaillait au supermarché à Dillon, son oncle lui avait trouvé une place de bureau), ce soir là donc, je suis passé chez Sergio à l’heure de l’ouverture, nous étions seuls, lui et moi lorsqu’une personne entra, s’assit au début du comptoir près de la sortie et commanda une lorraine (une bière locale très peu alcoolisée).
C’était un noir petit et râblé, court sur patte, il était d’un noir Congo comme on disait ici. Ce qui signifiait qu’il était très noir contrairement à la plupart des Martiniquais et d’un noir brillant qui faisait sur lui, reluire le peu de lumière de la pièce. Sergio (car tout le monde l’appelait ainsi) le servit et me remplit mon verre de nouveau et me l’apporta à l’autre bout du comptoir et me glissa furtivement à l’oreille.
-Vas aux toilettes et discrètement en passant, fermes la porte à clef !
Sans un mot, je me levais et me rendis aux WC, Sergio s’était mis à parler à notre consommateur pour capter son attention. Je ne restais que peu de temps aux toilettes et je ressortis, ferma la porte discrètement et retourna finir ma bière. C’est à ce moment là que la conversation prit une autre tournure et que le ton neutre au début du dialogue devint plus feutré et plus grave en même temps. Notre visiteur tranquillement expliqua à Sergio le but de sa visite, il déclara qu’il sortait de prison et qu’il cherchait du boulot et proposait ses services de protection à Sergio.
A son accent, il n’était pas martiniquais et parlait un créole mélangé d’anglais et d’argot local qui laissait à penser qu’il était plus dominicain (île de la Dominique au nord de la Martinique) que saint Lucien (habitant de sainte Lucie, île plus au sud de la Martinique) et dans ce cas, il fallait s’attendre à le voir sortir une dague de 30 bons centimètres. Les dominicains étaient des spécialistes de l’arme blanche, si les voyous martiniquais utilisaient plus volontiers le rasoir caché dans une pochette et frappant à travers la pochette pliée en deux, les dominicains eux préféraient de loin la dague et s’en servaient avec une grande dextérité, ne te laissant qu’un petit trou au ventre où le sang jaillissait à gros bouillon, te perforant au passage bien souvent le foie ou la rate. Si tu ne recevais pas de soin dans les dix minutes qui suivaient, comme tu n’avais aucune possibilité de placer un garrot nul part, tu avais de grandes chances de passer l’arme à gauche.
Sergio, que je n’avais jamais vu comme cela auparavant, les yeux fixés sur son interlocuteur, sans aucune expression dans son regard, calmement sortit les deux mains de dessous du comptoir et ressortit une 30/30, une carabine de chasse qui utilisait des projectiles à foudroyer un sanglier à 100 mètres et tout aussi paisiblement plaqua le bout du canon sur le ventre du racketeur et sur un ton ne trahissant aucun trouble lui expliqua qu’il n’avait nul besoin de sa protection, qu’il n’était qu’un petit commerçant et qu’il n’embauchait pas de personnel. Il assurait lui-même le service, les appros, le nettoyage et le service d’ordre et qu’il n’entendait pas à ce que cela change, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais d’ailleurs.
Le racketteur en herbe n’ayant pas du tout prévu une telle réaction de la part du taulier, se mit à trembler de tous ses membres et commença à bafouiller, et un flot incompréhensif de paroles sortit de sa bouche, ses yeux au début de l’intervention très ronds se rétrécirent en deux petites fentes et ce n’était pas de la perfidie qui émanait de ce regard, mais de la peur, l’agressivité du départ avait totalement disparue et avait fait place à la terreur, il reculait doucement, les yeux rivés sur le canon de l’arme.
Et c’est toujours sur le même ton bonhomme, que Sergio lui montra la sortie. Il avait tellement peur, et comme il ne m’avait pas vu fermer la porte, s’énervait sur la serrure, alternant son regard tantôt sur Sergio, tantôt sur le verrou de la porte.
Sergio s’adressa alors à moi.
-Bob, montres à monsieur comment ouvrir la porte, il bave tellement qu’il est en train de détremper ma moquette !
Cette façon de parler pouvait prêter à sourire, mais dans ce milieu il était avant tout indispensable d’en imposer au maximum afin d’éviter la récidive, les dialogues à la Audiard ne se rencontraient pas uniquement dans les salles de ciné-clubs.
Je m’empressai d’exécuter son ordre non sans avoir noté au passage qu’il venait d’en rajouter une couche. Je pris grand soin de ne jamais passer entre le braqueur et le braqué, de ne jamais être dans la ligne de mire du fusil. Arrivé près de la porte, je pris aussi la précaution de rester à un bon mètre de l’individu, tout en ne le quittant pas des yeux, lui intimant l’ordre de reculer pour me permettre d’ouvrir la porte.
Il sortit sans un mot sur les conseils de Sergio de ne jamais remettre les pieds ici sinon, il n’y aurait aucun autre avertissement, et que la prochaine fois, il (Sergio) tirerait à vue sans aucune sommation.
Je refermais soigneusement l’entrée et revint m’accouder au comptoir plus pour écouter les explications de Serge que pour finir ma bière. Il m’expliqua, qu’il lui avait suffit de regarder l’individu entrer dans la salle, son regard avait fouillé la pièce non pas comme quelqu’un qui cherche une connaissance, mais plutôt comme qui veut s’assurer du monde présent avec une lueur d’anxiété. Il venait de me prouver que l’on pouvait mesurer 1 mètre soixante dix et malgré tout savoir se faire respecter sans violence, rien qu’à la voix et le regard. Bon, c’est un peu vrai, la 30/30 y était pour beaucoup.
Les rues autour de ces bars étaient malgré tout, beaucoup plus dangereuses que l’intérieur de ces établissements, il n’était pas sain de sortir seul, même pour traverser d’un bar à l’autre, mieux valait être à deux car les coups de couteaux étaient monnaie courante. Le deuxième bar faisant partie de ma tournée était tenu par une ancienne prostituée parisienne (dont j’ai d’ailleurs plus ou moins oublié le prénom, Maria je croie) maquée avec Paulo. Paulo était une ex-figure du milieu parisien venu se mettre au vert quelques temps loin de la vie trépignante de la capitale. Ici non plus les bagarres n’étaient pas de mise car il fallait montrer patte blanche à l’entrée car on jouait gros à l’intérieur, des sommes considérables changeaient de main chaque nuit. Une sonnette prévenait Maria de l’arrivée des clients et lui donnait le temps de détailler les arrivants par un ingénieux système installé derrière le comptoir et donnant sur la rue. Une porte vitrée s’ouvrait grâce à une commande manuelle actionnée du comptoir, donnant sur un sas qui avant de s’ouvrir à nouveau dans la salle, refermait d’abord la porte donnant sur l’extérieur, à l’instar des sas de banques. Ceci pour la protection directe, pour la protection indirecte, ceux qui fréquentaient les lieux, connaissaient la manière bien particulière de Paulo de régler les litiges.
Oh, bien sûr, chez Sergio on jouait aussi mais cela n’était pas la spécialité de son bar. C’était plus pour passer le temps que pour jouer à proprement dire. Chez lui, il passait plus de militaires, de gendarmes et de gardes républicains « les mobiles » comme on les appelait, de la gendarmerie mobile qui changeait tous les deux mois.
Le troisième bar était tenu par Nathalie une ancienne « métro » que je connaissais depuis longtemps, elle aussi n’avait pas la langue dans sa poche et savait tenir son monde à distance et son copain martiniquais n’était pas tendre non plus.
Chaque nuit, les clients passaient d’un bar à l’autre en suivant un ordre assez précis ; les clients de Sergio (les militaires) passaient chez la copine en face (chez Nathalie) mais rarement chez Paulo, les militaires étaient par nature plus soiffards que joueurs. Et les joueurs, passaient difficilement chez Sergio (ou alors quand ils avaient fini par perdre leur chemise chez Paulo, finissaient leurs nuit chez Sergio quand ils étaient vraiment à sec ou chez Nathalie quand il leurs restait un peu d’argent car Nathalie, tout comme Paulo, ne faisait aucun crédit.
Sergio, lui faisait plus facilement crédit quand il connaissait. De plus avec les militaires (les trois quarts d’entre eux étant gradés) qui touchaient de bonnes soldes n’avaient pas toujours leur argent sur eux ou s’étaient laissés surprendre à dépenser plus d’argent que ce qu’ils avaient sur eux, ne lui avaient encore jamais laissé de drapeau, car ils savaient pertinemment qu’un seul mot de Sergio à leur commandant et ils n’auraient plus l’occasion de récidiver.
Je fréquentais aussi le café des trois couleurs près de la jetée tenu par un autre Paulo, un franco-algérien collé avec Francine une fille du coin. Paulo, c’était une autre classe, il était à l’époque, à 35 ans le parrain de l’île. Comment avait-il réussi ça je ne le sais pas, je pense qu’à l’époque, la pègre locale était désorganisée, chacun faisant la guerre à l’autre. Il n’y avait pas de grand banditisme à Fort-de-France, un peu de trafic d’herbe, (la drogue dure commençait à peine à circuler et encore, que dans le gotha martiniquais), le jeu clandestin et la prostitution, ces deux dernières activités, le jeu et la prostitution représentaient plus de 75 % des recettes de l’économie souterraine de l’île. Paulo (celui des trois couleurs était arrivé 15 ans plus tôt dans les années 60, il était venu faire son service militaire ayant échappé à l’Algérie autant dut fait qu’il était franco-algérien, mais en sus, boitait assez sévèrement de la jambe droite à la suite d’un accident de « parcours du combattant » et n’avait pas voulu se faire réformer flairant la bonne affaire au sein de l’armée française et ayant trouvé l’île à son goût, il décida de rester après la période légale. et fit venir son pote Paulo et sa copine et à eux trois n’eurent aucune peine a s’imposer au sein du milieu local.
Le Paulo des 3 couleurs fit son trou dans la prostitution, et l’autre Paulo (ancien proxénète pourtant) sur les conseils de son amie se spécialisa dans le jeu clandestin. Son plus grand travail consistait à aller à la banque chaque matin à l’heure de l’ouverture et d‘y déposer des sommes assez considérables. Un petit commerce moins risqué et moins fatiguant, rapportant 3 à 4 fois plus que la prostitution (sans compter que dans la prostitution, il faut surveiller les filles aussi bien pour leur sécurité que pour éviter de se faire arnaquer par elles). Dans le jeu, ils se suffisaient à eux deux.
Le Paulo des 3 couleurs fit main basse sur la prostitution aidé par son amie Francine et réglementa les jeux clandestins où les règlements de comptes étaient fréquents dans ces milieux et avec l’aide de son homonyme, ils firent cesser les bagarres et instaurèrent des règles assez dures mais qui ont eu l’avantage de ramener la réconciliation au sein de la pègre locale, même les flics n’intervenaient pas dans leurs affaires et préféraient les contrôler à distance car la guerre des gangs avait fait pas mal de victimes dans la population et était sur le point d’influer négativement la politique touristique de l’île. Finalement, ce gentleman agrément arrangeait tout le monde. Le Paulo des 3 couleurs avait en outre une autre activité encore plus secrète que celle de parrain local, mais je vous en parlerais plus tard.
Petite mise au point pour les Martiniquais ayant vécu là-bas dans les années 70, les flics, ne vous en déplaisent ne s’appelaient pas encore les « Babylons », Bob Marley n’avait pas encore chanté son célèbre titre « Babylon », il ne l’a sorti qu’en 1978. Chanson que j’ai entendu (bien qu’interdite à l’époque en milieu carcéral) des milliers de fois.
Paulo (des 3 couleurs) garait sa Mercedes juste en face de son bistrot bien en vue sur un passage protégé sous le panneau défense de stationner, et lorsque la place était prise, Francine appelait la police (si elle n’était pas déjà sur place chez elle) pour qu’elle puisse à son tour, appeler la fourrière, il n’était pas question que Paulo lorsqu’il arrivait, trouve SA place occupée par une autre voiture. Exceptionnellement, il autorisait un ami à utiliser cet emplacement et dans ce cas (dans ce cas là uniquement) un simple rappel à l’ordre aux fonctionnaires de police au cas il y en aurait un ou deux de trop zélés pour les stopper dans leur élan suffisait à les arrêter.
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