Chapitre II
C’est ces endroits là que le père de Marianne me reprochait de trop fréquenter. Pourtant, je n’avais rien fait de mal et étais encore inconnu des services de police. Sergio m’avait pris en amitié et m’initiait au jeu du 4/21 et aux astuces de la belote de comptoir, distractions qu’il avait acquises lorsqu’il avait été enchristé (écroué) pour quelques années.
A ce propos, j’ai une petite anecdote que je tiens à vous narrer, c’est une histoire absolument réelle, bien qu’elle ressemble à une scène tirée d’un film comique.
Un soir j’étais un peu désœuvré et les clients chez Sergio étaient plutôt rares, je cherchais un compagnon pour un 4/21 ou une belote de comptoir, lorsqu’un grand noir se pointa dans le bar. Une nouvelle tête apparemment ce qui n’était pas fait pour me déplaire, ne me connaissant pas, il ne devait pas être au courant de mes petits talents cachés que Sergio avait fait naître en moi. Car comme vous vous en doutez, les leçons de 4/21 ou de belote que me donnait Sergio, ne consistaient pas à en connaitre les règles et à bien s’en servir, mais plutôt comment les contourner à l’insu des autres joueurs.
Donc, mon « pigeon » accepta sans trop se faire tirer l’oreille une petite partie de dés, un bref coup d’œil à Sergio qui opina légèrement de la tête en guise d’acceptation me confirmant par ce geste que c’était un « client » potentiel. La seule petite négligence de ma part avait été de ne pas avoir repéré les mêmes signes de convenance qu’avait échangé mon « futur pigeon » avec Sergio. Et en cours de partie, je me rendis compte que mon « pigeon trichait exactement comme moi. Le moment le plus risible fut lors d’un échange de « ram pot » (je ne suis pas certain de l’orthographe), pour les gens qui connaissent le jeu, le ram pot est une « égalité de jeu », nous avions fait chacun 4/21 et donc il nous fallut donc rejouer afin de nous départager. Et à chaque nouveau jeté de dés, nous faisions 4/21 et c’est à ce moment là que je me suis rendu compte de la manière dont mon adversaire récupérait les dés sur la piste et la façon dont ses doigts replaçaient les dés pour être en bonne position pour être rejoués avec un maximum de chance de refaire 4/21
Cette façon de procéder n’est pas une assurance de gagner à chaque coup, mais apporte une garantie supplémentaire d’améliorer votre score. Sur un 4/21, les chances de refaire un 4/21 en lançant les dés normalement c'est-à-dire que les dés fassent un minimum de trois tours sur eux-mêmes, les chances sont de 5 à 10 pour 100. Pour mettre plus de chance de votre coté, il vous faut ramasser les dés (d’un mouvement le plus naturel possible) dans un certain sens et de faire pivoter certains dés afin de les placer en bonne position dans votre main pour qu’à la suite de votre lancée, les dés se retrouvent en position de 4/21. Une opération qui n’est pas si facile que ça à réaliser et il faut à un joueur moyen plusieurs années pour bien la maitriser. Et tout ce petit manège bien sûr, à l’insu de votre partenaire. Vous augmentez vos chances de 50%.
Les plus drôle de l’histoire, c’est que mon partenaire (oui, il n’avait plus droit au sobriquet de pigeon, mais de partenaire), s’en est lui aussi rendu compte au même moment que moi, et nous nous sommes dévisagés pendant quelques secondes avant de nous tourner dans un ensemble parfait vers Sergio qui était plié de rire derrière son comptoir.
J’ai compris ou plutôt, nous avions compris (mon partenaire et moi) que nous n’étions pas les seuls élèves de Sergio. Ce nouveau venu s’appelait Marc, il était le frère de Muriel la femme de Sergio, une métisse aussi mais pas comme Marianne mon amie, elle avait trois origine, blanc, black et indien (les coolies comme on les surnommait là-bas) et je peux vous garantir que le mélange était vraiment parfait (n’étant pas raciste pour 2 ronds, j’ai toujours pensé que le métissage était l’avenir de l’homme). Marc est devenu par la suite, un de mes meilleurs amis durant mon séjour aux Antilles.
Marianne elle, je l’avais connue à l’école certes, mais à l’adolescence, nous nous sommes perdus de vue, ne fréquentant plus les mêmes lycées. Je l’avais revu un samedi soir dans un zouk « a touffé yen yen » (serrés comme des sardines, mais avec une connotation quelque peu érotique, c’est danser tellement serré qu’un moustique tel le « yen yen » un tout petit moustique se retrouve étouffé entre les corps). Depuis ce jour, ou plutôt cette nuit, Marianne et moi, nous ne nous sommes plus quittés.
J’étais même redevenu sérieux, ne sortant plus et fréquentant de moins en moins ces endroits que la morale et le père de Marianne réprouvaient. Hélas, ma mauvaise réputation me collant considérablement à la peau et avec l’accort de Marianne, je décidais donc de m’engager dans l’armée. J’ai signé pour 3 ans au 1er RPIMA, quelques temps avant le terme de mon contrat, mon chef de corps, le colonel Hovette me fit appeler dans son bureau.
-- Sergent, (oui j’avais été promu cabot-chef à la fin du peloton de sous-off et sergent à mon retour d’opérations spéciales en 1973, car depuis le début de l’année 73 le 1er RPIMA avait été affecté aux missions spéciales), sergent dit-t-il, vous avez été très bien noté lors de votre engagement et il semblerait d’après vos supérieurs que vous vous plaisiez parmi-nous, aussi ma question sera brève, voulez-vous rempiler pour une nouvelle période. Si vous vous comportez dans cette nouvelle période comme vous l’avez déjà fait au cours de votre 1er engagement, vous aurez la possibilité de finir sergent chef, qu’en pensez-vous ?
J’étais à la fois fier et en même temps extrêmement gêné, la décision ne m’appartenait pas uniquement, je pensais quitter la vie militaire et rentrer au pays et épouser Marianne, d’un autre coté faire une carrière militaire pour un garçon comme moi, était assez élogieux. Ma mère aurait enfin pu être fière de moi, pour une fois.
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Oui, je comprends votre hésitation, peut-être avez-vous une famille pour qui vous comptez beaucoup et vous ne voulez pas prendre de décision sans les avoir consultés au préalable. Réfléchissez, prenez quelques jours, vous avez jusqu'à la fin de la semaine pour cela.
--J’espère que votre décision sera positive, prenez quelques jours, allez consulter les vôtres vous avez si j’en crois les rapports que j’ai sur vous, il vous reste une quinzaine de jours à prendre. Je vous reverrai à votre retour !
J’avais téléphoné le soir même à Marianne pour l’informer de cette nouvelle, elle me promit d’en informer son oncle, il était convenu que si son attitude envers moi se modifiait, il n’était pas question de rempiler.
Le lendemain, l’appel de Marianne le surprit au mess, vers midi le décalage horaire était de 5 heures et il était 7 heures du matin à Fort-de-France et je savais que son oncle se levait tôt, vers 5 heures pour préparer ses gars au boulot, elle avait donc eu le temps de lui parler. La veille la chose n’était pas possible car son oncle rentrait très tard et bien souvent mort de fatigue, ce n’était surtout pas le moment de le déranger lorsqu’il soufflait un peu.
Hélas la nouvelle était loin d’être bonne, la réponse était toujours négative, un non catégorique. Il voulait un gendre capable de reprendre la suite de son entreprise. Aussi, Marianne lui avait fait part de notre décision à tous les deux. Elle partirait dès le lendemain me rejoindre en métropole et moi de mon coté, je signerais pour 5 ans, ma solde de sergent d’actif pouvait largement nous nourrir à deux.
Pour l’argent du voyage, Marianne m’avait dit qu’elle l’emprunterait, car évidement, elle reversait intégralement son salaire à son père comme toute jeune fille le faisait à cette époque aux Antilles. Seule l’année précédent le mariage, la jeune fille gardait intégralement la totalité de son salaire, ce qui constituait une base de départ dans la vie d’un couple. Mais pour Marianne, comme il n’était pas question de mariage, tout au moins avec moi, il n’y avait pas de cagnotte.
Je ne me faisais pas de souci pour qu’elle obtienne cet argent, je connaissais bien mon amie, et je savais qu’elle trouverait sans mal et le remboursement était assuré sans problème car nous étions à mi-mois et dans le pire des cas, je touchais ma solde dans une quinzaine de jours et une avance sur ma prime de réengagement.
Il était convenu entre nous que je resterais à Bayonne afin de chercher un appart décent pour dIeux personnes. J’étais bien logé par l’armée, mais, je partageais ma piaule avec un autre collègue et pour obtenir un appartement individuel, il me fallait être marié légalement, on ne plaisantait pas avec les bonnes mœurs au 1er RPIMA. Bon sang, j’étais si fier d’appartenir à ce corps d’élite et je pensais naïvement que mon beau-père le serait aussi et me permettrait d’épouser Marianne, mais il faut croire que les civils n’ont pas le même sens de l’honneur. Pourtant, le 1er (RPIMA) était une unité d’élite venue en ligne droite des célèbres SAS et les seuls en France à pouvoir arborer la fameuse devise « Who Dares Wins » (Qui ose gagne) et les gens prenaient notre fierté pour de l’indifférence, à leur égards, c’est là parait-il, que finissent toutes les têtes brûlées du civil (c’est vrai qu’il fallait être un peu « givré » pour allez risquer sa vie pour sauvegarder leurs petits conforts à ces civils). Et c’était d’ailleurs pour mon malheur, très exactement ce que pensait mon beau-père.
Pourtant, ces mêmes personnes qui sont contre la guerre (et c’est bien compréhensif, une grande majorité des militaires sont aussi contre la guerre, mais ce sont les seuls à être payés pour avoir la fibre patriotique, mais en échange, ils ont aussi le droit d’y laisser leur vie). Les militaires sont là en permanence pour que ces mêmes hommes puissent dormir en toute quiétude sur leurs deux oreilles. Il est facile, très facile même, en temps de paix de critiquer l’armée (qui n’est, comme chacun sait), qu’un ramassis de fainéants qui se repose sur l’argent du contribuable, le leur en quelque sorte. Mais ces mêmes gens oublient très vite que si les militaires n’étaient pas là, il y a de forte chance pour qu’ils ne soient plus là pour se plaindre d’eux. Ces militaires, ces machines à tuer sans cervelle, qui ne pensent qu’à assassiner, occire, ou bien encore abattre d’autres personnes que l’on nomme ennemies.
Et pourtant, ces mêmes personnes ont la mémoire courte (ou ne sont pas au courant), je ne prendrais que l’exemple des légionnaires (qui ont une plus mauvaise réputation que nous) que ces légionnaires, lorsqu’ils ne font pas la guerre (et c’est très souvent le cas), ils bâtissent, construisent, édifient pour des civiles des maisons, des baraquements, des écoles mêmes, une autre de leurs devises, « détruire parfois, construire souvent ». Et oui la majorité des gents ignore que bien souvent, les militaires troquent les fusils contre des pelles des pioches, des marteaux. Pour vous parler d’une époque plus récente, pas une personne en France ne sait qu’en 2005 après le tsunami des équipes de légionnaires sont allées en Indonésie et sont restées sur place pour aider les autorités locales à reconstruire.
Ils ne l’ont pas crié sur tout les toits, il est vrai que les militaires n’attendent pas la reconnaissance des civils, la seule chose qu’attendent les militaires des civils, ce n’est pas de la reconnaissance, ils voudraient juste que l’on ne leurs crache pas dessus au gré des humeurs du moment, qu’un jour ils soient des héros (rappelez-vous Paris en 44), le lendemain des victimes ou des salopards, (un militaire n’est ni un héros, ni une victime, ni un salopard, il est juste un soldat qui fait parfois la guerre pour que les populations civiles puissent vivre toujours en paix, et ils (les militaires) veulent juste éviter qu’on (les civils) les prenne pour des paillassons.
Mais arrêtons de faire l’apologie du militaire Ou en étais-je, j’ai oublié le fil de mon récit, ah oui, j’étais resté à Bayonne pour préparer un logis décent pour notre future installation en ménage ! A partir de cet instant de mon histoire, je vais vous donner quelques dates, si avant, elles n’avaient pas beaucoup d’importance, maintenant elles deviennent cruciales. A partir de ce moment, ma vie a basculé en l’espace de huit jours, je suis passé de simple trouffion promu à un bel avenir (enfin presque) à celui de tueur en série, psychopathe de surcroit et tueur froid et méthodique promu à l’échafaud (et ça c’est une certitude).
Nous étions le 18 mars 1974, c’était un vendredi, je m’en souviens comme si cela était hier je venais de recevoir l’appel de Marianne il était environ midi, un collègue est arrivé en courant, me prévenant qu’un appel de Martinique était arrivé pour moi au foyer du mess, un quart d’heure plus tard, notre décision à tous les deux était prise, nous en avions parlé entre nous depuis longtemps et étions prêts à cette éventualité, pas de gaité de cœur certes, mais c’était notre décision et rien ne pouvait nous faire changer d’avis et je savais Marianne suffisamment forte pour non seulement résister à son oncle mais à lui tenir tête et lui faire accepter si le besoin était, bon gré mal gré son départ pour venir me rejoindre. Effectivement, la discussion qu’elle avait eue avec son oncle s’était achevée par une capitulation de la part de ce dernier. Il était persuadé qu’avec le temps, elle finirait par comprendre que je n’étais pas fait pour elle et avait accepté comme elle était majeure, qu’elle vienne me rejoindre mais sans sa bénédiction et elle devrait donc se débrouiller pour trouver l’argent de son départ. Surtout qu’a l’époque, les trajets des Antilles en métropole étaient loin d’être « donnés » et petite particularité, les compagnies aériennes (je devrais plutôt dire la compagnie aérienne, vu qu’Air France n’avait pas de concurrence), Air France donc obligeait tous candidats au voyage en direction de la métropole de se munir d’un billet A/R allez savoir pourquoi, alors que parallèlement, l’inverse n’était pas obligatoire. Dans le sens Paris/Fort-de-France un simple billet aller était requis. (No comment!!!).
C’est donc le prix d’un billet A/R que Marianne devait trouver en prêt.
Elle m’avait dit de ne pas m’en faire et qu’elle serait à Bayonne près de moi le lundi 21 mars, au soir, mardi en fin de matinée au plus tard ou bien exceptionnellement le mardi soir. Au pire, si elle ne trouvait pas d’argent avant la fin du mois, dès ma solde touchée ou l’avance sur mon prochain engagement, je lui achèterai un billet que je mettrai à sa disposition à l’aéroport du Lamentin (aéroport de Fort-de-France à une dizaine de kilomètres de la capitale).
Elle devait me téléphoner une première fois quand elle serait en possession de l’argent, une seconde fois avant de prendre son vol et enfin une 3eme et dernière fois en arrivant en métropole de Paris pour me prévenir de son arrivée.
Le week-end passa et le téléphone resta muet comme une carpe. Le lundi pas plus de nouvelle non plus. Je n’étais pas inquiet sachant que ce n’était pas une mince affaire de trouver en prêt un mois de salaire, même par de très bons amis. J’étais déjà prêt à en venir à notre plan B qui consistait à attendre une rentrée d’argent de mon coté, scénario qui semblait le plus sûr, mais Marianne ne voulait pas attendre et après sa dernière dispute avec son oncle, elle voulait réduire au maximum le temps qu’il lui restait à vivre sous son toit.
Le mercredi 23 mars, un ultime appel de la part de Marianne pour me confirmer qu’elle avait trouvé une solution et qu’elle serait près de moi en fin de semaine.
J’ai voulu en savoir plus, mais elle resta assez mystérieuse à ce sujet et promit de m’affranchir dès son arrivée.
Et je pris mon mal en patience et attendis donc son bon vouloir. Une chose que j’ignorais, c’est que c’était la dernière fois que j’entendis sa voix, depuis je n’ai que son souvenir.
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