Chapitre III
Le lundi suivant, 28 mars au soir, je n’avais toujours aucune nouvelle, je ne pouvais pas décemment appeler l’oncle de Marianne, après la scène qu’ils avaient eue ensemble 8 jours plus tôt. Je décidais donc d’appeler la superette Blandy (petite superette qui se trouvait à l’angle de la route de Redoute et de la Voie 12 de la même route), je savais par expérience que Marianne y passait presque tous les jours pour y acheter quelques affaires de dernière minute comme le pain entre autre (sur le lieu de son travail, le pain n’était pas à recommander, même à son pire ennemi, chez Blandy, le pain sortait de chez un vrai boulanger), et très souvent, je l’attendais ici pour éviter son oncle. J’y suis venu tellement souvent, que j’y avais installé mes quartiers généraux et le fils du patron (Franck) était devenu mon compère (ce terme était parfois encore utilisé aux Antilles à l’époque) et je me sentais un peu comme chez moi, buvant une lorraine ou un ti punch.
Je décidais d’attendre 10 heures du soir métropolitain ce qui donne 5 h de l’après midi, j’étais sûr de trouver Franck au travail. Quelques minutes plus tard, j’avais Franck au bout du fil.
-Hé Franck, sa o fé? C’est Bob ti punch ! (Salut Franck, comment vas-tu ? (Oui Bob, ou Robert si vous préférez c’est mon véritable prénom, celui que l’état civil m’avait donné à ma naissance et Bob ti-punch mon surnom martiniquais; dans d’autres endroits comme à l’anse Mitan, on m’appelait, calamar sauce piquante (d’une part pour mon goût prononcé pour ce plat dans cet endroit réservé à la gastronomie et d’autre part, pour une certaine dextérité que les filles me comparaient à un calamar tant elles avaient l’impression que j’avais plusieurs mains, sauce piquante car je n’avais pas ma langue dans ma poche et répondais parfois d’une manière assez acerbe ).
-Hé bé, frère ! Sa o fé nèg là ? Où bien, bâ moins nouvelles ou ? Répliqua Franck en reconnaissant ma voix (Salut frère ! comment vas-tu mon vieux, donnes-moi de tes nouvelles ?
Oui, petite explication pour ceux qui n’ayant jamais vécu en Martinique, mais qui auraient quand même traduit la phrase en créole, mon ami Franck à utilisé le terme de nèg ou nègre si vous préférez, dans ce concept, ce vocable n’a rien de péjoratif, il est même dans ce cas très flatteur pour moi. (Franck sait parfaitement que je ne suis pas noir, mais en m’appelant nèg, il m’assimile à quelqu’un de très proche de lui, de sa famille presque). Moi-même, à l’époque où je vivais là-bas, j’utilisais très souvent cette expression lorsque que je m’adressais à un ami très proche, MAIS CETTE FORMULE N’EST JAMAIS UTILISEE LORSQUE L’ON PARLE FRANCAIS, UNIQUEMENT EN CREOLE, en français, le terme de nègre est considéré (vous vous en doutez bien) comme une insulte.
Les salutations d’usage terminées, je m’empressais de lui demander des nouvelles de Marianne.
-Et Marianne, tu la vois toujours à 19 h le soir.
-Marianne, tu plaisantes, tout le monde ici, y comprit son père, est au courant qu’elle t’a rejoint jeudi dernier, elle est passée le matin pour me dire au revoir et m’a dit qu’elle prenait l’avion du soir pour Paris.
-… … … … !
-He bé ti nèg là, ou pa di a rien ? Palé bâ moins ? (Hé bien petit frère tu ne dis rien, parles-moi, dis-moi quelque chose) ?
-T’es sûr de ce que tu dis ? Déjà, je regrettais d’avoir posé la question, j’avais tellement peur de sa réponse.
-Ben évidement, c’est sa mère qui passe le soir pour le pain ! Et j’ai discuté avec elle, elle est désolée de la réaction de son mari et a bien essayé de lui faire changer d’avis mais rien n’y a fait. Cela n’empêche pas qu’il se lamente tous les soirs sur son départ et il n’arrête pas de se reprocher de l’avoir laissée partir, mais, il était tellement sûr qu’elle ne le ferait pas!
-Pourquoi, elle n’est pas avec toi ?
-Non, je ne comprends pas, elle devrait être là depuis vendredi soir et on est lundi !
-Trois jours, bon sang, et t’es sûr qu’elle est partie jeudi. Répliquais-je ?
-Ben, j’en sais rien, tout ce que je sais, c’est qu’elle est passée jeudi matin et elle a même ajouté qu’elle se rendait à Dillon pour récupérer un peu de fric qu’il lui restait à toucher comme elle avait arrêté de bosser depuis presque 8 jours et qu’elle prenait l’avion le soir même et depuis je ne l’ai plus vu. Seule sa mère est passée le lendemain comme tous les soirs depuis son départ !
-Bien, merci, je te laisse, ce coup de fil va me couter une fortune, il me reste 8 jours de perm, j’ai touché ma prime d’engagement ce matin, je rentre au pays (sous entendu en Martinique), je suis persuadé que c’est son père qui l’a retient sur place, mercredi matin, je bois le café chez toi, prépares le décollage, (le décollage, une dose de rhum et une dose d’absinthe, excellent pour démarrer la journée). A consommer avec modération comme on dit de nos jours, mais à l’époque, cette recommandation était superflue, au 2eme, tes pieds quittait vraiment le sol, croies-moi ! Et Franck termina par cette phrase.
-Allez tchimbé raide, pa moli! (Portes-toi bien et ne faiblis pas, traduction édulcorée).
Dès mon arrivée, je suis passé chez moi voir ma mère et je me suis rendu chez Franck au grand désespoir de ma mère que je quittais à peine arrivé. Tous les voisins qui me connaissaient (c’est-a-dire la totalité du quartier) me firent la fête en me revoyant, que ce soit en remontant la colline sur le domaine militaire, soit plus bas jusqu'à la route des Religieuses et pour cause, j’habitais à l’angle de la route des Religieuses et de la Voie 123 et la voie 123 route des religieuse rejoignait la voie 12 route de Redoute.
Petite explication pour les néophytes des Antilles, les voies en Martinique sont des impasses qui comme toutes impasses débouchent sur un cul-sac. Cependant, la construction s’étant développée à très grande vitesse, de nombreuses maisons se sont construites le long des routes existantes et pour pénétrer à l’intérieur de ces lotissements improvisés, des voies ont été tracées perpendiculaires dans la plupart des cas à la route principale. Ces voies de terre battue, qui à l’origine étaient suffisamment larges pour permettre le passage d’une voiture, s’arrêtaient très souvent à quelques mètres d’une autre voie accédant à une autre route. Ces voies étaient séparées par une ravine ou un quelconque obstacle naturel. Ces obstacles ayant cessé d’en être ou tout simplement parce qu’un pont (de bois la plupart du temps) à été construit permettant la liaison entre les deux voies. Si bien que d’impasses, ces voies sont devenues par la suite des rues ou ruelles, mais leurs noms de voies sont restés.
La voie 123 des Religieuses mesurait à peine une centaine de mètres de long en descendant vers une ravine, l’on traversait un pont de bois (accessible aux voitures) et là, commençait le bas de la voie 12 route de Redoute, une centaine de mètres encore en remontant la voie on se retrouvait chez Blandy la superette. Très pratique pour nous, Marianne habitait à 2 mn de chez Blandy si bien que la superette se trouvait en gros à mi-distance entre Marianne et moi.
J’étais arrivé comme prévu de bon matin, a l’aéroport, j’avais pris une « bombe » (un taxi collectif), une sorte de minibus ou l’on voyageait plus debout qu’assit et lorsque la bombe arrivait le plus près de l’endroit ou vous vouliez descendre, il suffisait de frapper avec le plat de la main sur le métal du véhicule (les côtés ou le plafond du véhicule) et de crier « A l’arrêt » et la voiture s’arrêtait.
Ce qui rendait parfois les voyages un peu longs et un voyage d’une heure pouvait parfaitement durer une heure et demie à deux heures. Autre détail et de taille, il n’y avait pas d’heure fixe de départ, si vous deviez faire un trajet mettons de Fort-de-France/Trinité (FDF coté caraïbe et Trinité coté atlantique, vous traversiez la Martinique à l’endroit le plus court et le plus sûr) environ 20 / 25 km en voiture une demi-heure sans se presser, en taxico (on dit maintenant taxico pour désigner les bombes, le terme bombe n’est plus usité), le chauffeur attendait que son véhicule soit plein pour partir et il fallait attendre dans la voiture en plein soleil avant de partir en heures creuses. Et ensuite, il vous fallait compter une fois et demie à deux fois le temps escompté qu’avec une voiture normale pour faire la route soit une heure à une heure et demie pour le trajet FDF/Trinité. Fallait pas être pressé à cette époque.
En Martinique, on ne compte pas en kilomètres mais en heures. Juste avant la guerre de 40, les véhicules étant relativement rares, les gens marchaient énormément à pieds, utilisant des petits sentiers de raccourcis, et bien à cette époque (que je n’ai évidemment pas connue), les distances s’exprimaient en jours.
En bas de la voie 12 entre la voie 12 et le pont reliant la voie 123, il y avait une autre supérette (chez Beuz), un autre endroit ou je m’arrêtais fréquemment, et au grand étonnement des proprios que je connaissais aussi très bien, je suis passé comme une flèche presque sans m’arrêter pour les saluer, c’est d’ailleurs la version qu’ils donneront aux gendarmes quelques temps avant mon procès et vers 7 heures du matin, je me pointais donc chez Blandy, Franck était déjà au boulot.
J’ouvre ici une autre parenthèse, la croyance métropolitaine voit les Antilles comme un grand lieu de villégiature (sur quoi, ils n’ont pas complètement torts), mais là ou ils se foutent le doigt dans l’œil, c’est de comparer les antillais à des vacanciers permanents attendant le gogo de métropole pour lui tirer son fric. Les Martiniquais (entre autre, que je connais bien « que je connaissais bien », pour avoir vécu avec eux et même chez eux devrais-je dire), les Martiniquais donc quand ils embauchent le matin à 7 heures, 7 heures 30, ils ont bien souvent 2 à 3 heures de boulot dans les pattes, soit ils s’occupent de finir de construire leur maison (et quand ils ont fini, ils en construisent une autre, une par femme en moyenne) ou bien ils s’occupent de leurs bêtes.
Chaque martiniquais a minimum une bête (un bœuf la plupart du temps) à lui, même si il habite la capitale. Cette bête, c’est sa caisse d’épargne à lui, il l’élève, la chouchoute et la revend quand il a besoin d’argent. Après dés qu’il peut, il en rachète une autre et recommence. Et c’est pour cela que chaque matin que Dieu fait, soit il déplace sa bête d’un endroit de pâture à un autre, soit il lui apporte de l’herbe qui a été ramassée. C’est la raison pour laquelle, à cette époque, il n’était pas rare de croiser en pleine route de campagne des bêtes qui se sont détachées de leurs piquets et qui se retrouvent livrées à elles-mêmes pour la journée. Et les endroits de pâtures sont parfois à plusieurs kilomètres de leur propriètaires, ce qui leur fait pas mal de « trotte » à faire pour les nourrir et bien souvent, ils font la route à pieds car là ou ils vont, il n’y a pas de taxico.
Cette occupation, je suppose ne doit plus être employée de nos jours, enfin je ne pense pas, il n’y a pas loin de 30 ans que je n’ai pas mis les pieds aux Antilles, et je suppose que les Antillais actuels ont plus confiance à la caisse d’épargne qu’en cette pratique.
Franck donc était déjà au boulot quand je me suis pointé chez lui et le punch était déjà prêt. Pas pour moi uniquement, mais la tradition voulait que le rhum soit prêt à toute heure du jour pour les hôtes de passage. Avant toute chose, et avant de parler de ce qui me préoccupait, la bienséance voulait qu’on parle de nos familles respectives et comme je n’avais pas revu les parents de Franck depuis une bonne année. Je suis allé les saluer, eux-mêmes s’inquiétèrent de la santé de ma mère.
Les mondanités terminées, nous en sommes venus à parler de Marianne et que se soit Franck ou ses parents, ils n’ont pu que me confirmer ce que Franck m’avait confié au téléphone, Marianne n’avait pas été aperçue depuis jeudi dernier.
Il ne me restait qu’une chose à faire, m’assurer personnellement que son père ne l’avait pas enfermée comme cela, hélas, arrivait encore trop souvent dans des cas similaires.
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