karfa93

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Epilogue

 

          Mon histoire avait le tour de la caserne et comme j’étais militaire au moment des faits, le colonel avait exigé à ce qu’il y est un représentant militaire lors de mon exécution. Un représentant de l’administration civile était là aussi comme le veut la loi, mon avocat était présent, un représentant de l’église comme le veut la tradition et le directeur de la prison, tout ce petit monde était présent pour assister à mon exécution, ma mère qui était autorisée à assister n’était pas là, j’avais insisté  pour  qu’elle ne soit pas présente, et bien sûr, le maitre de céans, le bourreau.

 

           Je ne vous mentirais pas, dans ces moments là, même si l’on a perdu le goût de vivre, le rituel du protocole fout vraiment les boules. Bien sûr, il n’y a plus d’exécution capitale sur la place publique mais malgré tout, on préférerait une exécution plus sommaire, ce serait plus humain.

 

           En Martinique, l’annonce de mon exécution ne s’était pas ébruitée, à l’époque les moyens de communications n’étaient pas aussi sophistiqués que maintenant, certes le téléphone existait, mais son utilisation était fort onéreuse et beaucoup de personnes ne le possédaient pas chez eux et se servaient du téléphone publique, internet, n’en parlons pas, était loin d’exister, la presse et les médias avaient d’autres chats à fouetter que d’en faire une première page, de plus, une espèce de blackout, une chape de plomb s’était abattue sur cette affaire comme si on tenait à oublier au plus vite cette histoire. De plus, les meurtres avaient été commis en Allemagne, sur Marseille, pas de cadavre, pas d’affaire, moi, je n’étais pas un vrai martiniquais, et il n’y avait que Marianne qui était rattachée à cette affaire et comme la vox populi semblait présenter Marianne plus comme une intrigante que comme une victime, c’est dans une parfaite indifférence que j’allais être exécuté.

 

            Chose que j’ignorais ce lundi 17 octobre 1977 c’est que depuis quelques années, un célèbre avocat Robert Badinter se battait pour faire abolir la peine de mort. Et ce matin du 17 octobre, le directeur entendit le téléphone sonner sans doute pour la première fois de sa carrière et mon exécution fut suspendue. Par la suite, lui ou ses collègues l’entendirent une bonne dizaine de fois, vu que mon prédécesseur sur l’échafaud Hamida Djandoubi fut le dernier à être exécuté.

 

            Oh, le fait d’obtenir la grâce présidentielle, ne me fit pas libérer pour autant, ma peine fut commuée à trente ans de prison théoriquement incompressibles. Mais par le biais des remises de peines pour bonne conduite, je suis sorti en 1994, je n’ai finalement fait que 20 ans.

 

             Vingt ans de prison pour des salopards, vingt ans pour un tel gâchis.

 

            Chose que je ne vous avais pas dite, c’est que j’ai réussi à savoir comment Fred était parvenu à entrainer Marianne avec lui, je l’ai appris de sa bouche même, mais les moyens que j’avais employés pour le savoir, ne sont pas vraiment avouables. Il avait appris par le bouche à oreille qu’elle cherchait le prix d’un billet d’avion pour partir en France, profitant de son récent désaccord avec sa famille, (la Martinique est une île et dans une île, tout se sait très vite) et comme il avait une certaine contenance, il pouvait passer pour un homme d’affaire. Il en profita pour  lui proposer de lui avancer le prix du billet avec comme seule promesse d’accepter de me demander l’autorisation  de tourner un bout d’essai pour des studios de cinéma, il ne lui avait demandé aucune autre assurance, ce qui de prime abord avait surpris Marianne, mais comme à priori il semblait jouir d’une bonne popularité auprès de certains patrons de bars de l’île qui lui avaient affirmé de son  intégralité.

 

            Marianne qui voulait partir le plus vite possible, naïvement promis donc de me demander mon accord, et s’empressa de donner mon adresse à la caserne de Bayonne contre toute garantie, le proxénète prêta l’argent et la laissa partir seule, mais s’arrangea pour la récupérer à Paris et sous le couvert de lui épargner la fatigue du train, la prit à son bord en voiture et jamais on ne la revit vivante.

 

            En 94, à ma sortie, j’étais seul, ma mère était décédée, je n’avais aucun ami en France, je n’ai jamais remis les pieds aux Antilles, pourquoi faire, comme je vous l’ai dit, ma mère n’était plus là, le grand père de Marianne, (le seul qui m’avait montré un peu d’humanité) était mort lui aussi, les parents de Marianne, indirectement, je considérais son oncle comme en partie responsable, Sergio, mort d’un cancer, Marco lui je ne sais pas ce qu’il était devenu et d’une manière générale, tous mes amis étaient morts ou avaient déménagés, il me fallait refaire ma vie, repartir à zéro.

 

           Donc quand je suis sorti, j’étais vraiment seul, personne n’est venu m’attendre et pour tout vous dire, je ne savais vraiment pas où aller, avec comme tout pécule en poche 500 frs et 500 frs de 1994 c’est en gros l’équivalent d’à peine 150 € de maintenant.

 

           Objectivement, une personne se retrouvant seule dans une ville qu’elle ne connaît pas où elle n’a aucun ami, après 20 ans d’isolement, avec interdiction de quitter la ville (sans en prévenir et convaincre son juge de tutelle que son départ n’est, d’une part pas définitif et d’autre part qu’il ne cherche pas à se sauver), une personne de 52 ans sans travail ni toit pour la nuit avec 150 € en poche, que croyez-vous qu’il risque de se passer.

 

           Il n’y a en principe que 2 solutions, soit dans l’heure qui suit sa libération, cette même personne se retrouve dans le premier bar tabac du coin et essaye de le braquer, soit le lendemain au petit matin, on la retrouve dans le vieux port, une pierre autour du cou.

 

           Un célèbre humoriste, avait dit un jour que le suicide était comme si on réglait un vieux compte personnel avec soi-même et que personnellement il n’avait rien à se reprocher, et bien moi aussi, je n’ai aucun grief à me reprocher, et je me suis dit, (et j’ai eu le temps d’y réfléchir croyez-moi en 20 ans), qu’il était impératif que je ne choisisse n’y l’une, n’y  l’autre de ces 2 voies car Marianne serait morte pour rien et moi, j’aurais croupi 20 ans pour rien.

 

           Il me fallait choisir une autre voie, une voie qui me permettrait d’essayer de rétablir la vérité, ne serait-ce que pour la mémoire de Marianne, maintenant que je suis sorti,  j’ai payé ma dette, je ne dois plus rien, je n’ai aucun devoir de réserve à respecter juste un délai de 5 ans (le temps qu’il me restait à faire avant que je sois libre, plus une mise à l’épreuve de 5 ans, 10 ans de silence encore.

 

            J’ai donc pris une troisième voie, qui me permettrait de patienter et surtout, il me fallait me reconstruire, je suis allé voir une association de réinsertion dont je tairais le nom et j’ai tout déballé au responsable, je me suis confessé en quelle que sorte. Ce responsable, accepta de m’insérer dans son dispositif et là patiemment, j’ai appris à  survivre, j’ai réappris à vivre, j’ai réussi tant bien que mal à faire le point dans ma tête et j’ai commencé rassembler les éléments qui ont étoffés ces 25 ans en arrière. Il m’a fallu me remémorer les étapes, les dates, de rassembler mes souvenirs et cela n’a pas été simple, en prison, j’ai heureusement pris quelques notes sur ce qui m’étais arrivé, j’ai beaucoup écrit, noté, trié, conservé, j’ai jeté beaucoup aussi des montagnes d’observations, d’annotations, de réflexions.

 

           A l’association, j’ai appris à me servir d’un ordinateur, je ne connaissais son existence que par les rares  journaux que l’on avait en centrale.

 

           Aujourd'hui, je me sens prêt et j’ai réussi à coucher ces quelques lignes, maintenant que la chose est faite, je me sens soulagé et pour la première fois depuis plus de 30 ans, j’arrive enfin à pleurer.

 

           Et vous savez quoi, pleurer ça fait du bien.



02/11/2011
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